Rivière d'Hiver jeta un œil au ciel menaçant. Elle savait que par ce temps, avec des nuages aussi noirs, il serait imprudent de sortir. Mais elle avait envie, et c'était presque un besoin, de se dégourdir les jambes, de courir. Pourquoi ne pas chasser, alors ? Cela arrangerait le Clan, tout en lui offrant le défoulement qu'elle désirait tant. Ayant pris cette résolution, elle se dirigea vers la sortie du camp. C'est alors que son frère la rattrapa :

-Rivière d'Hiver ! Où vas-tu ? Tu vas te faire tremper, regarde la couleur des nuages !

-Je sais, répondit la guerrière. Mais je ne peux pas rester en place plus longtemps, il me faut sortir, coûte que coûte !

-Si tu veux... Après tout, peut-être que la pluie te fera retrouver la raison. Je penserai à toi, au sec dans la tanière !

Et il rebroussa chemin. Sa soeur l'observa un moment, songeuse. Puis elle se secoua, vérifia dans les nuages le temps qu'il lui restait avant la pluie, puis sortit. Elle décida d'aller chasser près de la cascade. Sitôt arrivée en territoire neutre, elle avisa un petit rongeur, visiblement jeune et imprudent. Elle allait lui sauter dessus, quand le vent tourna, et la proie fila à l'autre bout de la petite étendue découverte, en direction de son trou. La guerrière pesta quand elle se rendit compte qu'elle ne pourrait plus attraper cette proie. Elle allait se mettre en quête d'une autre cible, quand un couinement retentit. Et pas n'importe lequel. Cette voix était celle d'un chaton qu'elle avait eu quelques lunes auparavant, et, bien qu'elle l'ait vite confié au père, du Clan de la Brise, rien ne pouvait lui retirer le souvenir de ce petit, qu'elle n'avait abandonné qu'à regret, et pour qu'il soit plus en sécurité... Même si, au vu des derniers événements, elle se demandait s'il n'aurait pas été plus prudent de le garder avec elle...
Se détachant de ces souvenirs, elle se dirigea vers la grotte d'où semblait venir le cri. un chaton y était pelotonné. Elle le reconnut tout de suite. C'était son fils ! Que faisait-il seul, dans un lieu inconnu ? Elle s'approcha doucement de lui, tentant de ne pas l'effrayer plus qu'il ne semblait déjà l'être, et lui donna un coup de langue réconfortant et doux sur la tête et le dos, lui murmurant des paroles de réconfort. Puis, après l'avoir rassuré, elle commença à le questionner :

-Que fais-tu seul, ici, et par ce temps ? Ton Clan t'a rejeté ? Te traite-t-il bien, d'abord ?

Elle savait que ces questions pouvait amener le petit, qui n'avait pas de nom quand il l'avait quitté, à se questionner, et même à se méfier, mais il devait quand même avoir quelques souvenirs de sa vraie mère... Même s'ils ne s'étaient pas vraiment connus, il était jeune, il lui restait peut-être ne serais-ce que des sensations du temps d'avant le Clan de la brise...

-Qui vous êtes d'abord ? Mon papa m'a dit qu'il faut pas parler aux étranger ! Et puis, mon clan, il traite les chatons toujours bien ! Je me suis juste enfuit pour voir mon territoire ! Mais je me suis perdu...

-Ton père... Il a toujours été très prudent, c'est vrai. Je lui en suis toujours reconnaissante. Tu es bien traité ? Je suis heureuse de l'apprendre ! Et puis... C'est vrai que tu es perdu. Tu n'es plus dans ton territoire, le sais-tu ?

En posant cette question, elle se rendit compte qu'il ne pouvait pas être au courant, n'ayant pas encore été apprenti, et n'ayant donc pas fait le tour de son territoire. C'est alors qu'il la sortit de ses réflexions, la faisant sursauter :

-Et puis, qui est tu ? Moi, je m'appelle Petit Harfang, du Clan de la Brise !

-Ne sois pas si hostile, voyons, même si c'est vrai que ça pourrait te sauver la vie, un jour. Qui je suis... Rivière d'Hiver...du Clan du Ruisseau.

Devait-elle lui avouer la vérité ? Etait-il seulement prêt à l'entendre ? Allait-il lui demander pourquoi elle l'avait abandonné et lui en vouloir toute sa vie ? Elle décida finalement de faire un détour, qui la mènerait forcément à lui dire cette vérité, et à s'exposer à sa juste colère.

-Tu me parlais de ton père... Et... ta mère ? T'a-t-elle, elle aussi, donné des conseils utiles ?

Elle était consciente de risquer de le faire souffrir en lui parlant de celle qu'il n'avait pour ainsi dire jamais connue, mais c'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour lui avouer la vérité... Conscient que, si elle ratait cette occasion, elle ne sereprésenterait sans doute jamais.

-Je me doutais bien que je m'atais perdu. Que vont penser les autres ?

-C'est vrai que tu as fait une belle bêtise, en quittant le camp sans prévenir personne. Et là, je ne peux pas t'aider : Je ne suis pas autorisée à pénétrer sur ton territoire. Quoique... si je t'accompagne jusqu'à la frontière, sans la franchir, les tiens ne pourront rien dire...

Puis elle l'écouta parler de sa "mère". Fleur de Printemps... Rivière d'Hiver l'avait déjà rencontrée deux ou trois fois, à des Assemblées, et elle l'avait appréciée. Sans doute le père de Petit Harfang s'en était-il rendu compte, et il avait, logiquement, confié son fils à une amie de la mère de ce dernier.

-Il a fait un bon choix...

Elle avait parlé à voix haute, alors qu'elle pensait l'avoir pensé. Elle se demanda comment elle pourrait s'en sortir vis-à-vis du petit s'il l'avait entendue et lui demandait la raison de cette phrase. Elle n'aurait d'autre choix que de lui dire la vérité, mais elle ne se sentait pas prête. Elle n'avait plus qu'à prier pour qu'il ne l'ait pas entendue, ou n'aie pas fait attention à cette phrase. C'est alors que la pluie se mit à tomber à grosses gouttes. Rivière d'Hiver aimait l'eau, mais ce n'était visiblement pas le cas de son jeune interlocuteur. Sans plus réfléchir, elle le prit par la peau du cou et le déposa bien au sec dans la petite grotte, retrouvant instinctivement les gestes maternels. Puis elle se mit à sécher son doux pelage, s'imaginant dans la pouponnière de son Clan. Mais elle n'avait pas l'habitude des grottes. Le froid qui régnait dans celle-ci la ramena bien vite à la réalité; Il n'y avait plus de place pour le rêve, et elle allait devoir trouver, très vite, le courage de révéler au petit qui il était vraiment.

-Qui c'est qui a fait un bon choix ?

-Ton père, voyons !

Elle avait répondu sans réfléchir. Quand elle se rendit compte de son erreur, il était trop tard. le petit avait forcément prêté attention à cette réponse, qui répondait à sa question. Elle chercha à toute allure une réponse, mais n'en trouva pas. C'est alors que la pluie la força à faire rentrer son fils dans la grotte. Elle lui fit sa toilette, comme on peut le voir dans les faits racontés précédemment. Et le petit lui donna son avis la-dessus :

-Tu sais quoi ? Tu sais mieux lécher que Fleur du Printemps !

ces phrases firent bondir le coeur de la jeune mère. Son fils la reconnaissait, peut-être ans vraiment s'en rendre compte, mais c'était certain que son inconscient savait qu'il se trouvait près de sa vraie mère. Cette dernière, poussée dans ses retranchements, joua sa dernière carte, celle de la sincérité :

-Je lèche mieux que Fleur du Printemps... Parce que ce n'est pas ta vraie mère, c'est juste ton père qui t'a confié à elle, et je leu en suis vraiment reconnaissante à tous les deux pour tout ce qu'ils ont fait pour toi.

Elle savait qu'il allait lui poser la question qu'elle redoutait. Elle y répondit donc :

-Tu veux sûrement me demander si je connais ta vraie mère, alors ? La réponse est oui, je la connais même très bien, bien plus que son frère, mon frère, ne la connais.

Elle laissait encore durer le suspense, mais la vérité était très proche. En effet, deux interprétations étaient possible à l'histoire du frère commun à la mère de Petit harfang et à Rivière d'Hiver : soit les deux guerrières étaient soeurs, et très proches, soit Rivière d'Hiver elle-même était la mère biologique du chaton. Les lecteurs savent la vérité, mais voyons ce que le petit comprendrait dans toute cette histoire...

Le chaton semblait perdu. Cela n'avait d'ailleurs rien d'étonnant, tout ce en quoi il avait toujours cru venait de s'effondrer en quelques instants. la guerrière s'en voulait de lui imposer cette douleur, mais elle n'avait pas vraiment le choix, il aurait bien fallu qu'il sache, un jour. Elle décida alors de terminer ce qu'elle avait commencé : elle devait terminer de lui dire la vérité, elle ne pouvait pas le laisser sur cette incertitude où elle l'avait plongé.

-Oui, Fleur de Printemps n'est pas ta mère. J'ai... J'ai décidé de te confier à mon compagnon, qui est celui que tu as toujours connu comme ton père,car je croyais que le clan de la brise saurait mieux s'occuper de toi que celui du ruisseau... Je m'en veux... Surtout après les derniers événements... J'aimerais bine te reprendre, si tu me pardonnes et que tu l'acceptes, mais qu'en draient nos Clans respectifs ? Je ne me pardonnerai jamais mon erreur. Tu es sans doute le seul petit que j'aurai jamais, et j'ai décider de confier ton destin au Clan des Etoiles ! Je suis misérable ! Je ne méritais pas de petit ! Quelle piètre mère je fais !

Après sa tirade, elle posa sur son fils un regard presque craintif. Allait-il lui pardonner ? Allait-il lui en vouloir à mort et refuser de la revoir ? Allait-il (et ce serait le pire) se venger de cette trahison sur son père ? Elle chassa tout de suite cette pensée, qu'elle ne pouvait supporter.